somewhere-over-the-rainbow

Skies are blue...

Lundi 14 décembre 2009 à 12:56

 

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Les lumières s'éteignirent. Les trains dormaient dans un silence de mort, comme lorsqu'un lieu est vide, et qu'il n'y reste plus une once de vie. Pas un chuchotement, pas un mouvement, même ralenti, pour venir perturber cette paix presque dérangeante. La nuit s'était avachie sur cette gare, et laissait dormir tranquillement ce point de croisements de voyageurs, ce lieu synonyme de nouveau départ, parfois, de séparations ou de retrouvailles.  

Une gare, c'est un endroit béni. Lieu de rencontres qui peuvent changer une vie. Parfois, quand on croit être seul, quand la solitude nous saigne, il est bon de mettre les pieds dans une gare, de prendre un train, et on se rend compte qu'on est pas seul, que beaucoup vont dans la même direction, au même endroit. On se sent soulagé, même si les regards partagés le plus souvent ne sont que futilités.

C'est pour ça que j'aime les gares. J'ai toujours eu l'impression de ne pas être si seul que ça.  

J'arrivais de bonne heure, à l'heure où les premiers trains se faufilaient dans la brume matinale et disparaissaient rapidement pour aller réveiller les paysages traversés. Je crois que j'aurais aimé ça, moi, voyager, ouvrir les yeux au petit jour, regarder le monde défiler sous mon regard amorphe, ce monde pas tout à fait réveillé encore, et me demander à quoi rêvaient ces fleurs la nuit, ou les gens, dans cette maison là. 

Je n'ai pas souvent pris le train. Je n'avais tout simplement nul part où aller. Alors je restais dans cette gare, à regarder les gens partir, à les voir arriver, et moi, je restais là, assis à cette table, toujours cette même table, en prenant un café, toujours le même café. J'aurais aimé attendre quelqu'un, parfois. Il est arrivé que je me lève en sursaut, le coeur battant, croyant reconnaître quelqu'un sur le quai ! Mais je n'attendais personne, je ne connaissais personne. Alors je me rasseyais. J'observais les regards échangés, tantôt heureux d'être arrivé dans la capitale, émerveillés par l'architecture de cette gare, enfin au point de départ d'une vie nouvelle, tantôt lourds de tristesse d'avoir quitté les siens, d'avoir quitté son ciel. Je remarquais ces larmes qui déchiraient le coeur, lorsque ceux là se quittaient, ces mains qui se serraient comme pour abattre la distance qui les séparerait dans quelques heures, ces sourires chagrinés mais dégageant l'espoir de faire passer le temps plus vite ou de le tuer tout simplement

J'ai toujours trouvé ça drôle, tous ces gens qui se retrouvent au même endroit, qui se regardent et se sourient, toutes ces vies qui se croisent et ne se recroiseront jamais plus, où celles qui se croisent plusieurs fois mais oublient et ne font pas attention.  

Aujourd'hui, je voudrais me souvenir de chaque visage qui s'est un jour intéressé au mien car grâce à eux, je me serais senti moins seul.

J'aimais être spectateur de la vie, scruter les détails que personnes ne voyaient, imaginer une vie aux gens qui passaient et que mon regard suivait. Mon imagination leur offrait parfois la vie que j'aurais voulu avoir ou simplement la vie qu'ils semblaient avoir, juste ce qu'ils reflétaient. 

Je me suis parfois attaché à certains de ces voyageurs. Ce petit garçon qui s'amusait à donner des coups de pieds aux pigeons, cette vieille dame au dos voûté par le poids du monde à porter sur ses épaules et les yeux étincelants d'avoir la chance de vieillir malgré tous ces maux, ce jeune homme qui portait dans son étuis à guitare tous ses états d'âme et ses confessions les plus secrètes, cette femme à l'allure plutôt campagnarde, et dont la valise lourde de souvenirs ne semblait pas la décourager pour autant. Un coquin est resté accroché à ses lèvres et lui faisait esquisser un sourire rêveur.

Je suis toujours resté assis à cette table, regardant tous ces acteurs s'agiter sur la scène du grand théâtre de la vie.

Puis elle est arrivée. Elle est sortie des coulisses sans que je m'y attende. Elle s'est plantée là, au milieu, en rôle principal parmi tous ces figurants. Pour la première fois, j'aurais voulu me lever de cette chaise, aller la rejoindre. Mais sa beauté me terrifiait. J'étais le public, elle était l'artiste. Je ne bougeais pas, de peur qu'elle me remarque, je ne voulais pas la perturber dans ce rôle qu'elle interprétait à la perfection. J'avais l'impression que la gare était enrobée d'un silence sourd, et que tout le monde pouvait entendre les battements de mon coeur, comme un bombardement sur la ville. Mes yeux ne pouvait plus se détourner de ce spectacle bouleversant. Je n'avais encore jamais rien vu de tel. Et comme dans un film américain, je la regardais s'éloigner prendre son train, sans pouvoir ni bouger, ni crier. Sans pouvoir la retenir.

Souvent je suis revenu m'asseoir à cette même table, à la même heure, et souvent, elle est repassée devant moi, avec la même élégance, ce mystère impénétrable qui la rendait fascinante. Je retenais presque mon souffle lorsqu'elle passait, de peur qu'elle puisse m'entendre, peut être. Je ne voulais en aucun cas perturber l'équilibre de la nature, de la vie. Si nos destins devaient se croiser, alors ils se croiseront, sans que ce soit un accident.

Elle passait, je l'admirais, et la regardais partir.

Alors je restais là, assis à cette table, et je plongeais alors dans ce gouffre de pensées orné de cette imagination qui me surprenait parfois.

Je me plaisais à lui imaginer une vie, une famille, des amis, un caractère. Qui pouvait elle partir rejoindre ? Pour quoi faire ? Était-elle mariée ? Des enfants ? Ou célibataire, croquant la vie à pleine dents, amoureuse des voyages ? Qu'aimait-elle ? Aimait-elle faire la cuisine ? Regarder des vieux films le dimanche soir ? Quel était le son de sa voix ? Et son rire ? Aimait-elle regarder les étoiles ? Tenait-elle un journal intime, dont les pages se noircissaient jours après jours des pensées de son coeur ? Était-elle heureuse ? Buvait-elle du café, du thé ? Fumait-elle après l'amour ? Où est-ce qu'elle s'endormait paisiblement, un fin sourire aux lèvres ? La couleur de ses yeux changeait elle avec le soleil ?

Tant de questions futiles dans ma tête, m'encombraient minutes après minutes. Mais je prenais tout de même beaucoup de plaisir à lui imaginer une vie, un peu comme celle que j'aimerais avoir, comme celle que j'aurais aimé avoir, comme celle que je n'aurai pas... Se lever chaque matin au côté de la femme qu'on aime, savoir qu'on ne sera pas complètement heureux avant qu'elle ai posé son regard sur nous, se sentir timide dès qu'elle nous sourit, alors que ce n'est pas dans notre habitude, et tout faire pour la combler. Ne pas la servir au début et la délaisser au fils du temps, non, l'aimer toujours aussi fort. Penser chaque jour qu'on est arrivé à l'apogée de notre amour pour elle, et découvrir chaque matin que finalement on l'aime un peu plus encore. La regarder dormir, toute la nuit, veiller sur elle et être cette épaule sur laquelle elle pourrait se reposer si elle en avait besoin. Être prêt à tout pour elle, à risque sa vie, à donner son temps, et tout ça, sans rien attendre en retour. Aimer, c'est pour la vie, c'est ne jamais cessé, quoi qu'il arrive, et c'est savoir rester à sa place, pour qu'elle soit heureuse…

Une pensée étrange me traversa l'esprit. Je n'y fis pas tout de suite attention, car elle me semblait des plus délirantes, complètement idiote, absurde ! Mais sûrement tellement vraie...

 

 

 

Cette admiration que j'avais pour elle jours après jours, semaines après semaines, mois après mois, et années après années, cette éblouissement c'était transformée en amour. Est-ce que je l'aimais ? Je ne la connaissais pas... Mais en même temps, j'avais pu remarquer chez elle cents petites manies, petites expressions, que même ses proches ne verront jamais. Je l'avais observée en silence, et je connaissais beaucoup d'elle, à présent. J'apprenais que les mots n'étaient pas utiles pour connaître une personne. Il suffisait de savoir regarder.

 

Il me semblait tellement ridicule de pouvoir admettre que je l'aimais... Ou le pire, était peut être que je m'en étais rendu compte aussi tardivement, alors qu'au fond je le savais bien : je l'avais aimée depuis toujours, depuis la première où mon regard s'était déposé sur elle.

Les années passaient, et chaque premier Lundi du mois, je venais m'asseoir à cette table, attendant de la voir passer. J'attendais son train avec elle, de loin. Je m'imaginais une conversation, alors que nous restions silencieux tous deux. Et pour rien au monde je n'aurais brisé ce silence.

Une fois elle s'est assise à la table juste à côté de la mienne. Il était un peu plus dur de l'observer de cet angle là, à cette distance. Parce qu'elle ne pouvait que me remarquer. Et ce n'était pas ce que je souhaitais. J'étais bien, là, ces Lundis, à la regarder, à apprendre à la connaître, caché dans son ignorance.

Évidemment, quelques fois, je tournais la tête pour la regarder. Et c'est lors de ces moments là que je pu scruter son visage dans les moindre détails, comme il ne me l'avait encore jamais été permis jusque là.

Sa peau était lisse, elle semblait douce comme de la soie. Elle devait sûrement en prendre très soin, en y appliquant peut être une dizaine de crèmes. Son nez, un peu busqué, faisait tout son charme. Elle n'avait pas suivit la mode d'aujourd'hui des « petits nez retroussés » et c'était tant mieux, parce qu'elle aurait beaucoup perdu, à changer de nez... Ses yeux étaient légèrement en amande, d'une couleur unique que je ne saurais décrire, mais pourrais vulgairement appeler un « bleu-vert » magnifique. Et j'imaginais de petites tâches jaunes incrustées par endroits dans son iris. De longs cils ornaient ces magnifiques joyaux. Sa bouche, pulpeuse, avait une couleur rose naturelle, et la légère touche de gloss leur donnait un aspect sucré. J'aurais eu envie d'y goûter. Ses longs cheveux bruns étaient attachés à l'aide une grosse pince. Et quelques mèches rebelles s'en étaient échappées et tombaient autour de son visage. Je ne sais pas si elle était vraiment belle, mais son charme me prit tout entier, à l'intérieur, me remua comme une tempête, une tornade, et mon coeur s'emballait toujours plus. Cataclysme. Je ne pouvait plus détourner mon regard de cette femme qui sans le savoir, dirigeait ma vie, mes faits et gestes, depuis bientôt deux ans. Elle m'offrit le privilège d'observer ses mains, lorsqu'elle saisit sa tasse de café. Et ses longs doigts fins, d'une élégance rare, ne demandaient qu'à être réchauffés. Son parfum glissait jusqu'à moi, et je souris tant il était doux et lui allait bien.

J'aurais tout donné pour être cette petite fumée grise, soufflée par sa bouche, pour être cette tasse ou ce café chaud, afin de goûter à ses lèvres, ce mascara, pour me cacher entre ses cils, cette pince, pour m'enfouir dans sa chevelure. J'aurais aimé être ce serveur, pour qu'elle m'adresse juste un regard, m'offre juste un sourire. A moi, à et personne d'autre que moi. Mais j'étais à côté, à quelque mètres, et malheureusement, son regard ne s'étendait pas jusque là. J'étais en dehors de sa bulle, comme tous les autres, comme le Monde entier, pour elle, sûrement. Oui, j'étais tout le monde. Ou plutôt, je n'étais personne... 

Deux année étaient passées encore. Deux anniversaires, deux Noël, deux jours de l'an, deux étés, deux automnes, deux hivers, deux printemps. Et rien n'avait changé, entre elle et moi. J'étais toujours tapi dans l'ombre, dans ce hall de gare, confondu à la foule qui emplissait les lieux, et Elle, elle était toujours là, avec sa présence, jouant son rôle, sur la scène de la vie. Et partait toujours le premier Lundi du mois, à la même heure, dans le même train,et je suis intimement persuadé, qu'elle s'asseyait à la même place.

Après quatre années passées à la regarder, à l'aimer en silence, je voulu faire du bruit. Je voulais exister pour elle, comme elle, elle existait pour moi. Peut être pas de la même façon, parce que nul ne pourrait aimer au point auquel je l'aimais. Mais je voulais capter son intention, une seconde, une demie seconde, exister à travers son regard juste un instant, c'est tout ce que je demandais. J'élaborais un plan, jours après jours, attendant qu'elle revienne, puis qu'elle reparte, encore, comme toujours. Et finalement, je voulu plus. Plus qu'un regard, plus qu'un sourire. Je voulais qu'elle se souvienne de moi, je voulais la marquer, faire quelque chose que personne ne lui avait encore jamais fait. J'étais décidé à aller lui dire que je l'aimais. Oui, sans rien ajouter, je voulais juste lui dire que je l'aimais. Lui raconter toutes ces années où je l'ai aimée n'aurait servi à rien, peut-être n'aurait elle pas même voulu m'écouter, ou savoir... elle ne me connaissais pas après tout. Mais je voulais l'approcher, plonger dans son regard et lui offrir mes mots. Les seuls que j'aurais prononcés depuis toutes ces années passées à attendre. Attendre quoi... ?...Attendre, tout simplement. J'aurais été capable de lui apporter mon coeur dans une boîte pour qu'elle le garde quelque part, ou juste pour lui dire qu'il lui appartenait.

Je serai alors allé, le premier Lundi du mois, m'asseoir à cette même table. Je savais bien que c'était la même, parce que ça faisait quatre ans que je la grattais avec ma petite cuillère, nerveux lorsqu'elle passait là.

Je l'aurais attendue, l'aurais suivie et, dans un élan du coeur, lui aurais dit « je vous aime ». Qu'elle le prenne bien ou mal, elle se serait souvenue de moi. Elle l'aurait peut être raconté à ses amis, à sa famille, à ses enfants... « Un homme s'est planté devant moi, à la gare, et il m'a dit qu'il m'aimait... Il m'a offert son coeur dans une boîte... ». Elle se souviendrait de moi pour toujours, et ça me suffirait bien.

Je suis arrivée à la gare ce Lundi là, celui du mois de Novembre. Il était encore très tôt, et je savais pourtant que son train arrivait vers 10h. Mais il fallait bien que je me prépare à lui dire ! Les tables du café n'étaient même pas encore sorties. Je regardais sur la grande horloge l'aiguille des secondes tourner sans s'arrêter. Le temps passait et mon coeur s'accélérait de plus en plus, bien que je faisais tout pour le calmer. J'avais son parfum dans la tête lorsque je fermais les yeux, puis son visage, ses yeux, son regard, son sourire, ses gestes, ses expressions... Je rouvris les yeux et il était l'heure. 

J'allai m'asseoir à cette table, toujours cette même table. Parfois je regardais celle d'à côté et je l'imaginais là, prenant son café, comme cette fois là, et ignorant toujours la vie autour d'elle.

La grande horloge marquait 10h. Et la voix annonça l'arrivée de son train. Je regardais chaque voyageur descendre, encombrés de grosses valises, un sourire aux lèvres d'être enfin arrivés. Mais tout ça m'était égal, j'essayais de la repérer dans la foule, de ne pas la rater, je savais qu'elle était toujours dans les derniers à descendre... J'observais chaque visage, chaque silhouette. Je l'aurais reconnue entre milles.

J'étais là, assis à cette table, plein d'allant, le coeur battant, et je l'attendais. J'aurais pu attendre longtemps. Très longtemps... ! Milles ans ! Cent ans. Cinquante ans. Vingt ans. Dix ans... Huit ans.

Les mots aux bord des lèvres, ce « Je vous aime » me brûlant le coeur, je suis là, assis à cette table, et j'attends

 

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Par alixxxounette le Lundi 14 décembre 2009 à 19:27
Ce texte est poignant, long sans être lourd, ses mots se boivent comme du petit lait. Les sentiments sont livrés avec art. C'est élégant, juste ce qu'il faut d'innocence et de naïveté (pour sûre il y en a, mais cela est dosé de tel sorte que cette naïveté, c'est celle que nous avons tous quelque part au plus profond de nos coeurs, là où l'amour se fait candide).

J'ai passé un excellent moment à lire ce texte, donc je t'en remercie :)
Par Lose-Yourself le Jeudi 17 décembre 2009 à 12:47
J'aime vraiment =)
Biensur que tu peux l'adopter ... Mais dépêche toi, d'autres la veule aussi... =)
 

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